L’originalité comme condition de la protection du droit d’auteur (Cour d’appel Aix-en-Provence – 27 juillet 2023 – n° RG 19/18860)
Pour répondre à la demande d’un donneur d’ordre exploitant un restaurant japonais, un cabinet d’architecte a fait appel à plusieurs créateurs pour la conception de la décoration d’intérieur dudit restaurant : la réalisation d’une fresque murale représentant un tatouage japonisant, la réalisation de bancs en bois, la suspension d’ampoules d’éclairage et enfin la réalisation des globes constituant les luminaires.
Estimant qu’un second restaurant reprenait l’ensemble de la décoration, du mobilier et de l’univers du restaurant ainsi conçu, le cabinet d’architecte a engagé une action en contrefaçon de droit d’auteur.
Il a été débouté de l’intégralité de ses demandes faute d’établir l’originalité des « œuvres » qu’il revendiquait.
L’article L 112-2 du Code de la propriété intellectuelle vise notamment les œuvres d’architecture parmi les œuvres de l’esprit protégeables mais il appartient à l’architecte revendiquant une atteinte à ses droits d’établir l’originalité de l’œuvre d’architecture qu’il a conçue en apportant les éléments descriptifs permettant de constater que cette œuvre manifeste un apport intellectuel créatif reflétant la personnalité de son auteur.
Ici, le cabinet d’architecte revendiquait la protection du droit d’auteur pour les éléments constituant le restaurant (le tatouage mural, les luminaires, les bancs, les tables et les chaises) et soutenait que la décoration et l’aménagement intérieur constituaient ensemble une œuvre composite globale portant l’empreinte de sa personnalité.
La Cour d’appel d’Aix-en-Provence n’a pas retenu cette analyse et, après avoir constaté l’absence d’originalité, l’a débouté de l’ensemble de ses demandes :
- Du fait de modifications, non mineurs, le restaurant n’a finalement pas été réalisée en totale conformité avec les projets initiaux et se distingue donc de « l’œuvre globale » telle qu’imaginée et revendiquées par le cabinet d’architecte ;
- Le donneur d’ordre est intervenu de façon permanente dans le choix des matériaux ou objets du restaurant ;
- Le décor dans son ensemble, le choix des couleurs et de l’agencement, « reste dans l’atmosphère des restaurants japonais déjà connus avec l’utilisation du noir et du rouge, d’un tatouage mural ou des éléments en bois » et ne caractérise donc aucune originalité. La Cour souligne notamment que le tatouage mural, pourtant présenté comme un élément d’identification fort, a ainsi déjà été utilisé dans d’autres restaurants de type japonais.
Il en résulte, selon la Cour, qu’en tant qu’œuvre globale ou composite, et faute d’une originalité avérée, l’aménagement intérieur du restaurant ne présente aucun caractère protégeable.
Il en va de même pour les différents éléments qui composent cette décoration d’intérieur :
- Le cabinet d’architecte est bien à l’origine de l’idée d’apposer une image d’un tatouage sur le sol, le plafond et les murs du restaurant en s’inspirant des tatouages des yakusas. Mais d’une part, l’idée n’est pas protégeable en elle-même et d’autre part, la réalisation de ce dessin, le choix arbitraire des motifs et de leur disposition est l’œuvre de la seule graphiste et en conséquence le cabinet d’architecte ne peut prétendre à aucun droit d’auteur sur ce dessin.
- S’agissant du mobilier, la Cour constate que le projet initial conçu par le cabinet d’architecte n’avait pas été accepté par le donneur d’ordre et que les sièges finalement utilisés ne correspondant pas aux modèles proposés.
- Quant aux luminaires finalement retenus, il s’agit soit d’un modèle du commerce (Graypants) dont le cabinet d’avocat ne peut pas revendiquer la paternité, soit d’éléments dépourvus d’originalités: ils sont « constitués par la suspension de fils électriques noirs, effectués à la même hauteur sur une longue pièce de bois au bout desquels sont vissées des ampoules rondes à filament ». Or le principe d’ampoules nues, reliées chacune par un fil noir à une poutre en bois, les fils se rejoignant ensuite en un même point n’a aucun caractère original au vu des diverses photographies de restaurants existants, y compris japonais, produites par les intimées.
Là encore, le caractère original n’est pas démontré et l’appelante ne peut en conséquence bénéficier d’aucun droit d’auteur.
On retrouve ici la même exigence d’originalité que celle retenue récemment par la Cour d’appel de Paris à propos de « selfie » publiés par une influenceuse : la Cour d’appel avait rejeté l’originalité au motif que les choix revendiqués, même pris en combinaison étaient « des choix déjà retenus par des influenceurs avant elle » et qu’ils sont par ailleurs « dictés par la technique du « selfie » ou la mise en valeur de la tenue qu’ils portent » (CA Paris- Pôle 5 – Chambre 2 – 12 mai 2023 – n° 21/16270). Droit d’auteur – le « selfie » n’est pas gage d’originalité | LinkedIn