Olivier Ledru, avocat au barreau de Paris

20Juin

Producteur de vidéogrammes – droit autonome sur l’exploitation des rushes

Civ. 1re, 15 mai 2024, F-D, n° 22-24.639

Le producteur de vidéogrammes (« séquence d’images sonorisée ou non ») est la personne qui a eu l’initiative et la responsabilité de la première fixation d’une séquence d’images (CPI, art. L. 215-1).

Les « rushes » sont des épreuves de tournage non montées qui ne constituent pas nécessairement des œuvres audiovisuelles (lesquelles doivent répondre à la condition d’originalité conformément à l’article L. 112-2 du CPI).

Au titre de ses droits voisins, le producteur est titulaire du droit d’autoriser la reproduction, la mise à la disposition ou la communication au public des rushes dont il a eu l’initiative et la responsabilité de la première fixation.

La Cour de cassation rappelle ici que le producteur des rushes dispose d’un droit voisin autonome sur ces rushes lui permettant d’en interdire l’exploitation par un tiers, et ce indépendamment des droits d’auteur qu’il pourrait détenir sur l’œuvre audiovisuelle.

La conclusion entre le producteur et le réalisateur d’une convention prévoyant que les rushes ne pourront être exploités ni par le réalisateur ni par le producteur sans autorisation réciproque, expresse et préalable, ne prive pas le producteur de son droit à interdire l’exploitation par un tiers des rushes sans son autorisation.

En l’espèce, le litige opposait un producteur audiovisuel (la société Look at sciences) à l’établissement Sorbonne université.

A l’occasion du centenaire de la formulation de la théorie de la relativité générale, l’Université avait proposé au producteur de produire un film documentaire consacré à ce sujet.

Le producteur a alors conclu avec un réalisateur un contrat de cession de droits d’auteur prévoyant notamment que ni le réalisateur ni le producteur ne pourraient exploiter les rushes non montés, sans autorisation réciproque, expresse et préalable des parties contractantes.

Le producteur a ensuite conclu avec l’Université de la Sorbonne une convention de cession des droits d’exploitation en contrepartie du financement qu’elle lui apportait.

Après avoir constaté que l’Université éditait et distribuait des vidéogrammes reproduisant, sans son autorisation, le film ainsi que des rushes issus du tournage mais non compris dans la version définitive, le producteur l’a fait assigner en contrefaçon de droits d’auteur, responsabilité contractuelle, concurrence déloyale et parasitisme.

Le producteur avait notamment revendiqué la qualité de cessionnaire des droits d’auteurs sur les rushes mais le tribunal (TGI Paris, 6 oct. 2017, n° 16/05094) l’avait jugé irrecevable à ce titre car ne démontrant pas sa qualité de cessionnaire de ces droits d’auteur.

La Cour d’appel de Paris a confirmé ce point mais a en outre déclaré le producteur irrecevable au titre des droits voisins sur les rushes (Paris, 17 mai 2019, n° 17/21158).

Saisi une première fois, la Cour de cassation a, au visa de l’article L. 215-1 du CPI, rappelé que le producteur de vidéogrammes est titulaire du droit d’autoriser la reproduction, la mise à la disposition ou la communication au public des rushes dont il a eu l’initiative et la responsabilité de la première fixation.

Dès lors, le premier arrêt d’appel est censuré (16 juin 2021).

La Cour d’appel de renvoi (Versailles, 18 oct. 2022, n° 21/05044) a reconnu la recevabilité du producteur au titre d’un droit voisin rushes : « le producteur d’un vidéogramme est titulaire de droits propres, indépendamment des droits dont est titulaire l’auteur, sur ces « séquences d’images sonorisées ou non » ».

Mais elle a estimé qu’en acceptant, dans son contrat avec le réalisateur, la clause relative à l’exploitation des rushes, le producteur avait subordonné ses droits à ceux de l’auteur.

La Cour de cassation a de nouveau sanctionné la décision de la Cour d’appel en considérant qu’indépendamment de la clause conclu avec l’auteur, le producteur reste titulaire d’un droit voisin autonome lui octroyant un droit exclusif des rushes.