La Marianne asiatique vs. M. MELENCHON : reconnaissance juridique du street art
Cour d’appel, Paris, (pôle 5 – ch. 1), 5 juillet 2023
COMBO est un « street artiste », auteur d’une œuvre intitulée « La Marianne asiatique » divulguée à Paris le 16 février 2017 (une Marianne aux traits asiatiques, tenant un drapeau sur lequel est inscrit « Liberté, égalité, humanité », accompagnée du slogan « Nous voulons la justice », ainsi que de la signature de l’artiste. Le slogan et la signature ont par la suite été effacés et remplacés par le blason d’un autre artiste, Styx.
Cette « Marianne asiatique » apparaît dans les premières secondes de deux clips de campagne de Jean-Luc MELENCHON et de la France Insoumise (2017 et 2020).
Il s’agissait de vidéos d’une durée d’environ 3 minutes sur lesquelles on pouvait voir un passage d’une durée comprise entre 2 à 5 secondes montrant le haut du corps puis le visage de « La Marianne asiatique ».
Par une décision en date du 21 janvier 2021 (TJ Paris, 21 janv. 2021 n° 20/08482), le Tribunal Judiciaire de Paris avait reconnu à COMBO la qualité d’artiste et avait en outre consacré l’originalité de son œuvre en considérant notamment que « les choix esthétiques, purement arbitraires, qu’il a réalisés et qui s’expriment dans le choix d’une composition mêlant le réalisme d’un processus créatif débutant par une photographie ensuite reproduite à l’échelle dans Ia rue, et l’univers de la bande dessinée, par le recours aux traits noirs ensuite remplis de couleurs vives, auxquels s’ajoutent des graffitis (message, signature), l’ensemble représentant une version moderne et ouverte de Ia République sous les traits d’une jeune femme asiatique très « actuelle », ainsi qu’en attestent sa vêture et son tatouage, posant de 3/4, poitrine nue et dont le regard croise celui qui la regarde, portant sur son épaule le drapeau tricolore sur lequel est reproduite une devise « revisitée ».
Le Tribunal avait néanmoins rejeté les demandes de l’artiste en faisant application des exceptions dite de panorama et de courte citation.
Devant la Cour, ni la titularité des droits sur « La Marianne asiatique », ni l’originalité de l’œuvre revendiquée ne sont plus contestées mais elle est invitée à se prononcer sur l’application des exceptions de panorama et de de courte citation, dont, à l’inverse du Tribunal, elle écarte l’application.
L’article L.122-5, 11° du Code de la propriété intellectuelle introduit dans notre droit l’exception dite de liberté de panorama autorisant « les reproductions et représentations d’œuvres architecturales et de sculptures, placées en permanence sur la voie publique, réalisées par des personnes physiques, à l’exclusion de tout usage à caractère commercial ».
Monsieur MELENCHON et La France Insoumise soutenaient que l’exception de panorama est applicable à l’espèce dans la mesure où l’œuvre est placée en permanence sur la voie publique et qu’elle a été reproduite à des fins non commerciales.
Après avoir rappelé que, comme toute exception, l’exception de panorama doit être d’interprétation stricte, la Cour en écarte l’application aux motifs suivants :
– « La Marianne asiatique ne s’apparente pas à une œuvre architecturale ou sculpturale au sens de l’article L. 122-5-11° » ;
– « S’agissant d’une œuvre de “street art”, qui plus est constituée, comme en l’espèce, pour partie de papier collé, donc particulièrement soumise aux aléas extérieurs (dégradations volontaires, effacement par le propriétaire du support, altérations du fait des intempéries…), il ne peut être retenu qu’elle est “placée en permanence sur la voie publique” comme le prévoit le même texte » ;
– « L’examen des vidéos a fait apparaître que la fresque n’y figure pas de façon accessoire ou fortuite, comme un élément du paysage ou de l’espace public servant de décor au sujet ou à l’événement mais qu’elle y a été intégrée délibérément, dans une recherche esthétique qui révèle l’intention du réalisateur d’en faire un élément important du clip et d’exploiter l’œuvre en l’associant au message politique diffusé.
L’exception de courte citation est également écartée dès lors qu’il « ne peut être considéré que cette utilisation, purement visuelle ou esthétique, sans contenu idéologique, serait justifiée par le caractère critique, polémique, pédagogique, ou informatif des vidéos concernées, consistant plutôt en un emprunt, sans nécessité évidente, à des fins d’illustration du discours politique. »
Les exceptions de liberté de panorama et de courte citation ne pouvant être utilement invoquées, l’atteinte aux droits patrimoniaux de l’artiste, est constituée.
La Cour est tout aussi sévère concernant l’atteinte aux droits moraux de l’artiste :
– Atteinte au droit à la paternité sur l’œuvre du fait de sa représentation sans la signature de l’artiste, la Marianne asiatique a en effet été reproduite et représentée amputée de cette signature. Peu importe ici, indique la Cour, que cette amputation ne soit pas le fait des intimés dès lors que ces derniers sont à l’origine de l’exploitation litigieuse ;
– Atteinte à l’intégrité physique de l’œuvre du fait des altérations suivantes : ajout non autorisé du signe LFI et intégration partielle de l’œuvre dans un support audiovisuel avec un message sonore et un sous-titrage, qui caractérisent une appropriation illégitime par La France Insoumise et Monsieur MELENCHON.
– Atteinte à l’intégrité spirituelle de l’œuvre utilisée sans le consentement de l’auteur au soutien de l’action et des intérêts d’un parti et d’une personnalité politiques, ce qui était de nature à faire croire que l’auteur leur apportait son appui ou son concours.
La Cour écarte les arguments de Monsieur MELENCHON lequel invoquait notamment, pour écarter l’atteinte aux droits moraux, la « nature évolutive et éphémère » d’une œuvre de street art, qui, selon lui, encourt nécessairement les aléas inhérents à cet art urbain que sont les atteintes à son intégrité, résultant des tags qui peuvent y être apposés, des éléments qui peuvent la recouvrir, des collages qui peuvent être arraché.